« Est-ce que vous enseignez encore le pansement à trois côtés ? »
Cette question a été posée récemment à l’un de nos formateurs, lors d’une formation destinée à des premiers répondants en régions isolées. Elle m’a fait réaliser qu’une certaine confusion persiste, alimentée par des réflexes appris depuis longtemps et tenus pour acquis, même si les recommandations ont évolué. Aujourd’hui, plusieurs lignes directrices, fondées sur des données probantes et émises par des organisations reconnues, proposent des approches différentes.
C’est pourquoi j’ai décidé de creuser la question, de revisiter la littérature et de faire le point sur les recommandations les plus récentes.
Commençons par une mise en situation réaliste
Un cycliste à vélo de montagne chute dans un sentier isolé
et se blesse gravement en tombant sur un petit tronc d’épinette taillé net. En
se redressant, il retire instinctivement la branche… laissant une plaie
thoracique béante.
À l’inspiration, on entend un sifflement d’air. Rapidement, il devient dyspnéique, agité et confus. Un coéquipier, muni d’une trousse de premiers soins et qui a fait sa formation de secouriste avancé en régions isolées, prépare un pansement pour fermer la plaie avec une gaze et une couverture de survie, mais reste incertain : « Dois-je fermer trois côtés ou quatre ? »
RECONNAÎTRE le pneumothorax ouvert
Une plaie thoracique ouverte peut rapidement évoluer vers un pneumothorax sous tension ou un hémothorax. Il faut donc reconnaître les signes suivants :
- · Blessure pénétrante du thorax, souvent avec fuite d’air
- · Bruits d’aspiration ou sifflement à la respiration
- · Difficulté respiratoire ou mouvement paradoxal de la cage thoracique
- · Cyanose des lèvres ou des extrémités
- · Diminution ou absence des bruits respiratoires du côté atteint
- · Altération de l’état de conscience, agitation, signes de choc
INTERVENIR
NE PAS RETIRER UN OBJET PLANTÉ DANS LE THORAX.
Cela pourrait aggraver l’hémorragie ou la perforation pulmonaire.
Le pansement à trois côtés : encore pertinent ou approche dépassée?
Pendant plusieurs décennies, l’application d’un pansement occlusif collé sur trois côtés a été l’un des gestes classiques enseignés pour traiter un pneumothorax ouvert. L’idée : créer une valve unidirectionnelle artisanale qui permet à l’air de s’échapper à l’expiration, tout en bloquant l’entrée d’air à l’inspiration.
Aujourd’hui, cette technique fait l’objet d’un débat renouvelé dans plusieurs milieux de pratique. Bien que toujours recommandée dans certaines références (notamment l’ATLS 10ᵉ édition), plusieurs organismes spécialisés l’ont écartée ou remplacée par des approches jugées plus fiables et sécuritaires sur le terrain. Toutefois, les preuves scientifiques directes contre cette technique demeurent limitées, souvent basées sur des modèles animaux ou des observations cliniques indirectes.
Les principales limites identifiées :
- Efficacité variable : en contexte réel, la sueur, le sang, les poils et les mouvements rendent difficile le bon fonctionnement de la valve improvisée.
- Risque de blocage : le plastique peut se plaquer sur la plaie et empêcher l’air de s’échapper.
- Potentiel de dégradation : dans certains cas, un pansement mal surveillé peut contribuer à l’apparition d’un pneumothorax sous tension.
Organisation |
Recommandation actuelle |
TCCC (Combat Care) |
Pansement avec valve intégrée en priorité, sinon scellé à 4 côtés, avec surveillance active. Burping si détérioration. |
ATLS (10ᵉ éd.) |
Pansement à trois côtés toujours recommandé en absence de drainage thoracique. |
WMS (Wilderness Medical Society) |
Pansement scellé ou avec valve. Le modèle à trois côtés n’est plus recommandé. |
ITLS / NAEMT / PHTLS |
Retrait du modèle à trois côtés. Utilisation de scellés commerciaux à valve ou 4 côtés. Surveillance étroite. |
ERC (Europe) |
Si pas de valve : laisser la plaie ouverte dans certains cas. |
Croix-Rouge / Ambulance St-Jean |
Guides récents favorisent un scellé complet avec surveillance clinique active. Mise en garde contre les pansements improvisés. |
🔷 Position de SIRIUSMEDx
Chez SIRIUSMEDx, nous recommandons en priorité :
- L’usage d’un pansement thoracique commercial avec valve unidirectionnelle intégrée, lorsque disponible. Ces dispositifs offrent la meilleure efficacité en conditions réelles (sueur, poils, mouvements).
- En l’absence de valve, un pansement occlusif scellé sur quatre côtés est recommandé, à condition de maintenir une surveillance clinique active.
Nous reconnaissons que certains contextes d’enseignement ou d’intervention peuvent encore proposer le modèle à trois côtés. Toutefois, son application sécuritaire exige une grande rigueur technique et une capacité à reconnaître les signes de dégradation clinique.
L’essentiel, selon nous, n’est pas tant le nombre de côtés collés que la capacité de l’intervenant à observer, évaluer et réagir.
- Penser clinicien plutôt que technicien :
- Comprendre ce que vous faites
- Surveiller l’impact sur la respiration
- Maîtriser des gestes simples mais cruciaux (comme le burping ; expliqué après)
- Et surtout : amorcer une évacuation rapide et bien documentée.
Confection d’un pansement occlusif – technique 3 côtés et 4 côtés
Pansement 4 côtés (occlusif complet)
Objectif : sceller complètement la plaie pour empêcher l’entrée d’air tout en assurant une surveillance rigoureuse.
Matériel requis :
- Gaze stérile ou compresses
- Film plastique (sac ziplock, pellicule transparente, Mylar)
- Ruban adhésif médical (duct tape, élastoplast)
Étapes :
- Nettoyer la peau autour de la plaie (sang, sueur, saletés).
- Déposer une gaze légèrement humidifiée sur la plaie.
- Appliquer la pellicule plastique par-dessus, sans la coller à la compresse.
- Fixer le plastique sur la peau, en scellant les quatre côtés.
- Éviter que le plastique touche directement l’orifice : laisser un pli ou une poche d’air centrale.
- Surveiller l’apparition de signes de pneumothorax sous tension. Si doute → burping ou décompression si qualifié.
Pansement 3 côtés (valve artisanale)
Objectif : permettre l’évacuation passive de l’air à l’expiration, tout en bloquant l’entrée d’air à l’inspiration.
Étapes :
- Préparer la peau comme ci-dessus.
- Déposer la compresse, puis la pellicule plastique.
- Fixer trois côtés seulement, en laissant le coin inférieur libre.
- Orienter ce coin libre vers le sol si possible.
- Préformer un petit tunnel d’air au centre pour éviter l’effet ventouse.
- Réévaluer fréquemment. Burping si détérioration.
Attention : Ce modèle est plus sensible aux erreurs techniques et peut causer un pneumothorax sous tension aussi bien qu’avec un pansement à 4 côtés si le plastique se colle trop fermement ou s’il n’y a pas d’évacuation d’air efficace.
À surveiller de près après avoir posé un pansement occlusif :
Reconnaître un pneumothorax sous tension
Une plaie thoracique, une fois fermée, peut évoluer vers un pneumothorax sous tension, quel que soit le type de pansement occlusif utilisé: accumulation d’air qui comprime le poumon atteint et pousse les structures du médiastin vers le côté opposé, menaçant la circulation et la respiration.
SIGNE CLINIQUE |
QUOI SURVEILLER ? |
Qualité de la respiration |
Est-elle asymétrique, superficielle, ou inefficace d’un côté ? Un poumon pourrait être comprimé par un pneumothorax sous tension en formation. |
Coloration de la peau et des lèvres |
Une peau qui passe de rose à grise ou bleutée (cyanose) est un signe de mauvaise oxygénation. |
État de conscience |
L’agitation, la confusion, ou la somnolence peuvent refléter une hypoxie cérébrale. |
Pouls |
Un pouls rapide et filant peut être un indicateur précoce de détérioration, de choc compensé ou de compression médiastinale. |
Symétrie du thorax |
Un silence respiratoire ou une diminution de l’expansion d’un côté évoque une possible accumulation d’air sous pression. |
Déviation trachéale
|
La fameuse déviation de la trachée décrite dans tous les manuels n’est présente que dans 2.3 % des cas et est une manifestation tardive d’un pneumothorax sous tension. Elle correspond au shift du médiastin du côté opposé au pneumothorax. |
Le “burping” : un geste simple, mais une décision qui repose sur une évaluation rigoureuse
Le burping (ou soulèvement temporaire d’un coin du pansement) n’est ni automatique, ni arbitraire. Il repose sur des signes cliniques précis, non sur l’intuition.
Quand envisager un burping ?
- Augmentation soudaine de la détresse respiratoire
- Apparition ou aggravation de l’asymétrie thoracique
- Altération de l’état de conscience (agitation, confusion, ralentissement)
- Signes de cyanose ou hypotension inexpliquée
- Tension palpable ou tympanisme du côté atteint (si compétence et conditions le permettent)
Comment faire un burping sécuritaire :
- Soulevez doucement un coin du pansement pendant 1 à 2 secondes.
- Écoutez pour un sifflement d’air sous pression.
- Réappliquez le pansement dès que l’air est relâché.
- Recommencez l’observation clinique dès l’intervention terminée.
Ce geste peut sauver du temps et du souffle en attendant une décompression à l’aiguille (si vous êtes qualifié) ou une évacuation médicale rapide.
La décompression à l’aiguille : un acte médical réservé, mais décision partagée
Même si ce geste est réservé à du personnel formé et encadré, la décision de le considérer repose d’abord sur une évaluation clinique objective. Un intervenant doit être capable de :
- Reconnaître les critères clairs d’un pneumothorax sous tension
- Anticiper l’évolution s’il n’y a pas d’outil de décompression
- Informer une équipe médicale à distance avec des données cliniques claires
Décompression à l’aiguille – Pour personnel qualifié
🔸 Conditions :
- Champ d’exercice légal (infirmier, paramédic, medic, médecin)
- Formation validée
- Sous protocole médical écrit ou supervision
🔸 Site :
- 5e espace intercostal ligne axillaire antérieure
- 2e espace intercostal ligne mid-claviculaire
🔸 Matériel :
- Cathéter 14G, longueur ≥ 8 cm
- Aiguille de décompression commerciale ( ARS, PneumoDart, Russel PneumoFix, SAM, etc.)
C’est un acte de sauvetage, pas un réflexe : on n’intervient qu’avec justification clinique solide.
Évacuation d’une victime avec une plaie
thoracique pénétrante: Une priorité absolue
Même bien stabilisé, un patient avec une plaie thoracique pénétrante doit être évacué rapidement.
🔻 Risques en évolution :
- Pneumothorax sous tension
- Hémothorax
- Contusion pulmonaire
- Tamponnade cardiaque
✅ En attendant :
- Position semi-assise si possible
- Sinon décubitus latéral sur le côté atteint
- Oxygène si disponible
- Réévaluations fréquentes
Particularités des plaies thoraciques par balle
Les traumatismes thoraciques par projectile (ex. : arme à feu, éclat) demandent une attention particulière :
- Rechercher systématiquement un point d’entrée ET un point de sortie : Le projectile peut traverser complètement le thorax. Chaque orifice peut être une porte d’entrée pour l’air ou une voie de fuite, Il faut occlure les deux dès que possible.
- Utiliser deux pansements occlusifs si disponibles : Si un seul est disponible, prioriser la plaie avec fuite d’air active (souffle audible, mousse sanguinolente, sifflement à l’inspiration).
Transport aérien : attention au changement de pression !
En altitude, avec la pression chute → l’air intrapleural (espace entre le poumon affaissé et la paroi thoracique) prend plus de place → risque de décompensation.
🎯 Précautions :
- Alerter l’équipe de transport : pansement thoracique, évolution
- Burping pré vol si signes de tension
- Garder le matériel d’intervention d’urgence prêt
- Adapter l’altitude
Résumé clinique à transmettre (modèle SIRIUSMEDx )
- Type de blessure : plaie thoracique ouverte, flanc droit
- Heure de l’incident : [HH:MM]
- Interventions : pansement scellé, burping ×1
- Signes cliniques : FR, FC, SAT%, niveau de conscience
- État actuel : stable / détresse / non-compensé
- Besoins : évacuation urgente, supervision médicale
Tableau – Geste selon niveau
Niveau |
Geste permis |
Rôle principal |
Secouriste (SRI, SARI, PIRI) ) |
Pansement, burping |
Stabiliser, surveiller, évacuer |
Avancé (Paramédic avancé, infirmier) |
Pansement, burping, décompression si formé |
Intervenir activement et documenter |
Médecin |
Pansement, burping, décompression, drainage chirurgical. |
Évaluer, coordonner, anticiper |
Exemples de pansements commerciaux utiles
Modèle |
Avantages |
Terrain |
SAM® Chest Seal |
Valve, très adhésif |
Militaire, Industriel, chasse |
HALO® |
Adhère avec sueur/sang |
Militaire, industriel , chasse |
Russell® |
Valve visuelle |
Pédiatrie, tactique |
Improvisé (Mylar + tape) |
Accessible |
Régions isolées, austère |
Conclusion : choisir la meilleure approche selon le contexte
La question du pansement thoracique – trois côtés, quatre côtés ou valve – illustre bien l’évolution des pratiques et l’importance de rester à jour. Il n’y a pas toujours une seule bonne réponse, mais il y a de meilleures décisions selon le contexte, le matériel disponible, et le niveau de compétence de l’intervenant.
L’enseignement du pansement scellé à quatre côtés a l’avantage de simplifier l’approche, de réduire les risques techniques et de s’aligner avec les recommandations d’organisations expertes. Mais au-delà de la technique, l’essentiel est de bien comprendre ce que l’on fait, pourquoi on le fait, et comment surveiller les effets.
Peu importe le type de pansement utilisé, la surveillance clinique reste le point central : reconnaître un pneumothorax sous tension, intervenir au besoin (burping, décompression), et amorcer une évacuation rapide et bien préparée.
Chez SIRIUSMEDx, nous privilégions les approches éprouvées sur le terrain, mais surtout, nous formons des intervenants capables de juger, adapter et justifier leurs choix. Parce qu’en régions isolées, les meilleures décisions sont souvent celles qu’on prend de façon éclairée, et non par réflexe.